Fresnes le 30 Septembre 1998.
Monsieur le Président Jérôme Spick
Trente-quatre jours déjà se sont écoulés depuis ce merveilleux stage de théâtre de dix jours, où on a pu sortir vraiment de nos cellules pour s’éclater, et pour ma part je suis très fier de cette gentille attestation de stage que Monsieur le Président a bien voulu me faire parvenir surtout avec ces écrits sur ma personne. Jusqu’aux derniers jours, j’étais au bord des larmes, car je voulais y arriver coûte que coûte, ne serait-ce que pour leur montrer « aux autres » qu’il faut faire tout bien sûr pour essayer de se sortir de cet enfer qu’est l’incarcération, mais heureusement pour un groupe de « 9 » détenus, on a eu cette semaine de presque Club Med et on a tous j’espère été contents et heureux de faire cela, malgré que les photos n’étaient pas permises pour nous les remettre, pour ma part, aussi, j’ai été heureux d’être interviewé avec micros et caméras comme une grande vedette.
Mon rôle m’a quand même ramené soixante ans en arrière, et je me suis tout de suite mis dans la peau de ce petit personnage qui était malheureusement le mien, étant en classe de maternelle à cet âge, de surcroît orphelin, timide, bousculé par les autres et me laissant aller à casser aussi des choses dans la classe, rien que pour savoir comment cela était fait, mais surtout pour me venger des méchants et cela ne m’a passé que bien après l’âge de raison pour moi, à quatorze ans, chez les prêtres de Don Bosco, l’orphelinat Saint François Xavier à Draguignan (33) car la discipline était sévère, et je m’en rappelle comme si c’était encore hier. Vous excuserez les sanglots peut-être idiots pour Vous, surtout à mon âge de 66 ans, que j’ai laissé échapper le vendredi après mon interrogatoire, c’est parce que d’abord je suis un très grand timide encore, et souvent je perds beaucoup de moi-même à cause de cela, et quand je suis vu parler devant toute cette assemblée de personnages du théâtre, j’aurais voulu parler plus et surtout mieux, mais cela a été plus fort que moi, et c’est le sentiment aussi de n’avoir pu jouer qu’une pièce et que je savais que je ne pourrais pas en refaire d’autres, qui m’ont serré le cœur, mais je tiens à vous en remercier de tout mon vieux personnage et je rends hommage surtout à Monsieur Gérard, notre metteur en scène, qui a vraiment eu la patience de nous guider, pendant dix jours, sans oublier aussi Monsieur Jean-Christophe qui a remplacé au pied levé l’un d’entre nous, qui n’a pas eu la chance de jouer jusqu’au bout.
Si j’ai tardé à vous écrire pour vous remercier, et j’espère que les autres copains l’ont fait, c’est qu’étant démuni de tout pécule depuis deux ans, pour cause de divorce, et mon compte bloqué, je ne viens d’en recevoir que depuis une semaine et ma première idée a été d’acheter des timbres et de quoi écrire, car je ne peux que Vous dire que ce n’est pas pour moi qu’un stage, à mon âge, que j’ai réussi d’après vous, mais surtout un merveilleux souffle de joie et de bonheur que Vous avez eu Vous et votre belle équipe qui vous entoure la gentillesse et l’intelligence de nous apporter. Dans quelques mois, peut-être en juin, je partirai vers le pays de Loire en centre de détention, je ne sais où, et j’aurais vraiment aimé participer à des animations comme celle que j’ai faite, mais comme je m’appelle aussi pas de chance, je sais que rien de cela ne se passera plus, mais je n’oublierai pas ces dix jours pleins de soleil pour moi et les autres aussi doivent être de mon avis.
Vous remercierez aussi toutes ces belles jeunes filles et garçons qui nous ont donné leurs sourires, et surtout leurs poignées de mains. Je leur souhaite à Toutes et Tous le courage et le grand amour du travail, et merci de tout ce bonheur apporté.
En vous souhaitant une belle continuation dans les prisons, pour amener la joie, je vous adresse, Monsieur le Président, à Monsieur Gérard et Monsieur Jean-Christophe et Tous les autres mes respectueux souvenirs de quelques jours, et recevez mes bien sincères salutations, et amitiés à Tous ; Grand merci.
Celui qui n’oubliera pas,
Fait à la maison d’arrêt de Fresnes,
le 30 septembre 1998.
PS : je souhaite aux générations futures de vivre en des temps où l’État sera providence et se souciera du bien-être et de la bonne tenue de nos sinistres prisons, et penseront à la réinsertion.